L'Espace naturel
sensible, ou ENS, a - en France - été institué par la loi 76.1285 du 31
décembre 1976 puis jurisprudentiellement précisé par le tribunal de Besançon
comme espace « dont le caractère naturel est menacé et rendu vulnérable,
actuellement ou potentiellement, soit en raison de la pression urbaine ou du
développement des activités économiques ou de loisirs, soit en raison d’un
intérêt particulier eu égard à la qualité du site ou aux caractéristiques des
espèces végétales ou animales qui s’y trouvent ». Les ENS font suite aux «
périmètres sensibles » créés par décret en 1959 pour tenter de limiter l'urbanisation
sauvage du littoral.
Les ENS sont le
cœur des politiques environnementales des conseils départementaux. Ils
contribuent généralement à la Trame verte et bleue nationale, qui décline le
réseau écologique paneuropéen en France, à la suite du Grenelle de
l'Environnement et dans le cadre notamment des SRCE que l'État et les Conseils
départementaux doivent mettre en place en 2011, avec leur partenaires
départementaux notamment.
Des gardes
assermentés et pouvant donc dresser des procès-verbaux ( PV ) sont chargés de
surveiller et gérer ces espaces, avec un rôle pédagogique et de médiation et de
sensibilisation du public.
Définition et textes législatifs
Les espaces
naturels sensibles des départements (ENS) sont un outil de protection des
espaces naturels par leur acquisition foncière ou par la signature de
conventions avec les propriétaires privés ou publics mis en place dans le droit
français et régis par le code de l'urbanisme :
« Afin de
préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des
champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats
naturels selon les principes posés à l'article L. 110, le département est
compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de
gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non.
(…).
Pour mettre en
œuvre la politique prévue à l'article L. 142-1, le département peut instituer,
par délibération du conseil général, une part départementale de la taxe
d'aménagement destinée à financer les espaces naturels sensibles. (…). Cette
taxe est perçue sur la totalité du territoire du département. (Articles L.142-1
à L.142-13 du code de l'urbanisme) »
Ces espaces sont
protégés pour être ouverts au public, mais on admet que la surfréquentation ne
doit pas mettre en péril leur fonction de protection. Ils peuvent donc être
fermés à certaines périodes de l'année ou accessibles sur rendez-vous, en
visite guidée. Certaines parties peuvent être clôturées pour les besoins d'une
gestion restauratoire par pâturage.
En cas de
défaillance du Département, le conservatoire du littoral ou les communes
peuvent aussi préempter.
Le Département
peut réaliser des acquisitions au-delà de son droit de préemption, pour des
immeubles n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration d'aliéner, ou se situant
hors d'une zone de préemption, à la suite d'une déclaration d'utilité publique.
Une gestion des
milieux avec plan de gestion, et suivi et évaluation environnementale
scientifique est recommandée.
Charte (PDF)
Intégration internationale
Un espace naturel
sensible est considéré par l'Union Internationale pour la Conservation de la
Nature (UICN) comme une aire protégée de catégorie V.
Historique
Cette politique a
évolué de 1976 (avec des prémisses dès la fin des années 1950) jusqu'à
aujourd'hui. Son histoire est riche d'enseignement sur l'évolution de la prise
en compte de l'environnement en France dans cette période.
Elle provient du
droit de l'urbanisme, puis a bénéficié du contexte de la création des parcs
nationaux et des parcs naturels régionaux, de la loi sur la protection de la
nature de juillet 1976, de la loi sur l'architecture de 1977, des lois de
décentralisation en 1985 et de nombreuses adaptations successives pour intégrer
les évolutions du droit et des dispositifs français et européens de protection
de l'environnement (Natura 2000…). Elle est marquée par cette double origine «
urbanisme / environnement » et par la double préoccupation d'offrir des espaces
récréatifs et de protéger et gérer la nature.
Les espaces
naturels sensibles ont pris la place des « périmètres sensibles » créés par un
décret de 1959. Institués pour tenter de protéger la Provence et la Côte d'Azur
des appétits des promoteurs immobiliers, ils constituaient alors l'un des
premiers instruments juridiques de protection des espaces menacés
d'urbanisation excessive. Le décret instituait des zones de préemption au
bénéfice de la collectivité publique. Mais si les zones de préemption ont bien
été délimitées, elles ont été peu utilisées, notamment faute de moyens pour
acquérir les terrains soumis à une forte pression foncière. La Bretagne a eu
plus de succès dans son application sur le littoral mais c'est sans doute à
cause d'une pression foncière plus faible. Un ensemble de sites côtiers bretons
ont été acquis dans les années 1970-80 par les départements, notamment dans les
Côtes-du-Nord (actuelles Côtes-d'Armor), et surtout à partir de 1977 date à
laquelle la Loi sur l'Architecture institue un moyen de financement pour cette
politique en créant la taxe départementale des espaces naturels sensibles
(TDENS) assise sur les permis de construire.
La loi du 18
juillet 1985 (voir les lois de décentralisation) a confié la politique des ENS
à l'assemblée départementale, en lui affectant le produit de la taxe dont elle
fixe librement le taux entre 0 et 2 %. La loi dispose qu'outre l'acquisition,
elle peut être utilisée pour la restauration, l'aménagement ou la gestion des
sites.
Dans le contexte
de la décentralisation, l'application de la politique s'est progressivement
étendue à un nombre croissant de départements avec des variations importantes
dans les pratiques. Certains départements ont préféré réduire les acquisitions,
coûteuses, pour signer des conventions avec les propriétaires. La Loi Littoral
(1992) a facilité la protection des bords de mer grâce au recul de 100 mètres
imposé à l'urbanisation.
Au 10 février
2005, 73 départements français utilisaient cette mesure.
La loi de finances
rectificative du 29 décembre 2010, dans son article 28, instaure la taxe
d'aménagement (mise en application à compter du 1er mars 2012). Celle-ci
succède à la taxe locale d'équipement et remplace un certain nombre de taxes,
dont la TDENS. Une délibération du conseil général institue le taux de la part
départementale de la taxe d'aménagement, qui ne peut dépasser 2,5%.
En 2011, après
plus de 25 ans d'expérience, les 170 000 hectares d'ENS contribuent à l'accès
pour tous à la nature, par la préservation d'habitats naturels ou semi-naturels
(terrils, carrières par exemple), des paysages et de la biodiversité.
Indirectement, ils contribuent aussi au développement local et touristique.
Une charte des
espaces naturels sensibles (signée par environ 50 départements début 2011)
tend à rendre - au niveau national - plus cohérentes et homogènes les
politiques départementales ENS.
Domaines d'utilisation de la TDENS
De vifs débats ont
eu lieu entre les départements et le législateur au sujet des limites de
l'utilisation de la taxe départementale des espaces naturels sensibles. Les
associations de protection de la nature ont également fait valoir que celle-ci
était parfois employée à la limite du cadre défini. La loi a été précisée à
plusieurs reprises sur ce point et semble aujourd'hui précise. D'après
l'article L. 142-2 du Code de l'urbanisme, le produit de la TDENS peut être
employé :
- pour
l'acquisition, par voie amiable, par expropriation ou par exercice du droit de
préemption de terrains, ainsi que pour l'aménagement et l'entretien de tout
espace naturel, boisé ou non, appartenant au département, sous réserve de son
ouverture au public dans les conditions prévues à l'article L. 142-10 ;
- pour sa
participation à l'acquisition, à l'aménagement et la gestion des terrains du
Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, pour sa
participation à l'acquisition de terrains par une commune ou par un
établissement public de coopération intercommunale compétent, ainsi qu'à
l'entretien des terrains acquis par l'une et l'autre de ces personnes publiques
ou par l'agence des espaces verts de la région d’Île-de-France dans l'exercice
du droit de préemption, par délégation ou par substitution, prévu à l'article
L. 142-3.
Le produit de la
taxe peut également être utilisé :
- pour l'aménagement
et l'entretien d'espaces naturels, boisés ou non, appartenant aux collectivités
publiques ou à leurs établissements publics et ouverts au public, ou
appartenant à des propriétaires privés à la condition qu'ils aient fait l'objet
d'une convention passée en application de l'article L. 130-5 ;
- pour l'aménagement
et la gestion des parties naturelles de la zone dite des cinquante pas
géométriques, définie par la loi nº 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à
l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante
pas géométriques dans les départements d'outre-mer ;
- pour
l'acquisition, l'aménagement et la gestion des sentiers figurant sur un plan
départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, établi dans les
conditions prévues à l'article 56 de la loi nº 83-663 du 22 juillet 1983
complétant la loi nº 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de
compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, ainsi
que des chemins et servitudes de halage et de marchepied des voies d'eau
domaniales concédées qui ne sont pas ouvertes à la circulation générale et pour
l'acquisition, par voie amiable ou par exercice du droit de préemption
mentionné à l'article L. 142-3, l'aménagement et la gestion des chemins le long
des autres cours d'eau et plans d'eau ;
- pour l'acquisition
par un département, une commune, un établissement public de coopération
intercommunale ou le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages
lacustres, de bois et forêts sous réserve de leur ouverture au public dans les
conditions prévues à l'article L. 142-10 ;
- pour
l'acquisition, l'aménagement et la gestion des espaces, sites et itinéraires
figurant au plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux
sports de nature établi dans les conditions prévues au livre III du code du
sport, sous réserve que l'aménagement ou la gestion envisagés maintiennent ou
améliorent la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels ;
pour
l'acquisition, la gestion et l'entretien des sites Natura 2000 désignés à
l'article L. 414-1 du code de l'environnement et des territoires classés en
réserve naturelle au sens de l'article L. 332-1 du même code ;
- pour les études et
inventaires du patrimoine naturel nécessaires à l'élaboration et à la mise en
œuvre de la politique de protection et de gestion des espaces naturels
sensibles destinés à être ouverts au public ;
pour l'acquisition
de sites destinés à la préservation de la ressource en eau, leur aménagement et
leur gestion ;
pour les travaux
contribuant à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques
identifiées dans les schémas prévus à l'article L. 371-3 du code de
l'environnement.
De fait, les ENS
contribuent aussi à la trame verte et bleue régionale ou locale, à renforcer le
réseau des sites Natura 2000 et des réserves naturelles régionales, ainsi qu'à
l'éducation à l'environnement et de la prise de conscience environnementale4.
Intérêt et limites
Les limites sont
celles des priorités écologiques que se donnent les départements, ainsi que
celles des pressions foncières (coût), mais aussi des choix politiques, qui
font que l'utilisation de la TDENS varie fortement d'un département à l'autre.
La maîtrise
foncière des territoires a pour objectif prioritaire de contribuer à la
conservation du patrimoine naturel ou paysager, mais étant négociée aux
échelles locales elle n'est pas toujours le reflet des priorités écologiques.
Ce sont souvent les zones délaissées et de moindre valeur foncière qui sont
acquises, protégées et mises en valeur, plus qu'un réseau écologique cohérent.
Les réseaux des
réserves naturelles nationales, Natura 2000 et des réserves naturelles
régionales (RNR) peuvent, avec les mêmes limites compléter celui des sites ENS.
Enfin, la loi
impose d'ouvrir et d'aménager à la fréquentation du public les sites acquis
grâce à la taxe, mais il est admis qu'un site ENS soit fermé au public tout ou
partie de l'année si la fragilité du milieu est incompatible avec la
fréquentation ou les aménagements d'accueil du public (Exemples : falaises,
tourbières de surface réduite, berges fragiles, milieux en cours de
renaturation, etc.).
Dans certaines
régions, une démarche d'insertion de ces sites dans un réseau écologique
régional (trame verte) écologiquement plus cohérent est en cours, en
application notamment de la Stratégie paneuropéenne pour la protection de la
diversité biologique et paysagère.
Comme dans les
réserves naturelles, peuvent se juxtaposer des objectifs contradictoires : ex :
protection du milieu et accessibilité des sites au plus grand nombre.
Conservation du bois mort et sécurité du public, etc. Certains estiment qu'il
est préférable de privilégier quelques sites-vitrines en quelque sorte
"sacrifiés" au public le plus large, tout en restaurant le reste du
patrimoine.