Le projet d’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union
européenne pourrait être enterré après la demande de Paris d’arrêter les
négociations, qui patinent.
1. De quoi s’agit-il ?
Le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) est un projet
de zone de libre-échange lancé début 2013 par Barack Obama et les dirigeants de
l’Union européenne, José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy, avec le soutien
des 27 Etats-membres européens (qui sont maintenant 28).
L’objectif est de libéraliser au maximum le commerce entre les deux
rives de l’Atlantique, en :
·
réduisant les droits de douane ;
·
réduisant les « barrières réglementaires »,
c’est-à-dire les différences de réglementations qui empêchent l’Europe et les
Etats-Unis de s’échanger tous leurs produits et services, et qui génèrent des
coûts supplémentaires ;
Le TTIP, surnommé Tafta (Transatlantic Free Trade agreement) par ses
détracteurs, n’est pas sorti de nulle part : plusieurs instances de dialogue
transatlantiques lui ont ouvert la voie depuis la fin de la Guerre froide ;
mais surtout, il s’inscrit dans la course aux mégazones de libre-échange lancée
au milieu des années 2000, quand les principales puissances ont pris acte de
l’enlisement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a échoué à
libéraliser le commerce mondial à cause d’intérêts trop divergents entre ses
quelque 160 membres.
2. Pourquoi le traité transatlantique fait-il peur ?
Le poulet au chlore
La première vague des critiques contre le Tafta/TTIP, médiatisée à
l’occasion des élections européennes de 2014, portait sur le risque de voir
débouler sur le marché européen des poulets lavés au chlore, des bœufs nourris
aux hormones et des OGM. De nombreux industriels américains aimeraient en effet
voir ces produits, largement proscrits pour l’instant par la réglementation
européenne, traverser l’Atlantique à la faveur de l’« harmonisation des
réglementations » promise par le traité transatlantique. Mais ce sujet est si
politiquement sensible que les dirigeants européens ont promis que cette «
ligne rouge » ne serait pas franchie, et que les réglementations sanitaires
européennes resteraient inchangées. Il faut pour l’instant les croire sur
parole, car les négociations ne sont pas terminées, mais on les imagine mal
renier leur engagement et l’assumer devant l’opinion publique le jour où
l’accord sera rendu public.
Les tribunaux d’arbitrage
Aujourd’hui, l’essentiel des critiques s’est reporté vers un chapitre
précis du futur TTIP, consacré au règlement des différends. Créé dans les
années 1950 et présent dans l’immense majorité des accords commerciaux, ce
système, baptisé Investor-State Dispute Settlement (ISDS), instaure une justice
parallèle pour appliquer le contenu de l’accord, avec des arbitres privés au
lieu de juges publics.
Problème : à cause de la trop grande marge de manœuvre conférée à ces
arbitres, et à de potentiels conflits d’intérêts, l’ISDS s’est transformée, au
cours des dernières années, en arme à la disposition des multinationales pour
attaquer les réglementations des Etats, sur la santé, l’environnement ou le
social.
Sensible aux critiques, la Commission européenne a, sous l’impulsion
franco-allemande, présenté à l’automne 2015 un ambitieux projet de réforme de
l’ISDS. Si elle prend en compte la plupart des failles pointées par les
experts, cette réforme n’a pas rassuré les sceptiques, qui s’opposent au
principe même d’une justice parallèle unilatérale, où seules les entreprises
peuvent attaquer les Etats, et pas l’inverse. Déjà intégré à l’accord
Europe-Canada, cet ISDS « relooké » a été proposé aux Etats-Unis, qui n’y ont
pour l’instant pas donné de suite favorable.
La coopération réglementaire
Autre sujet moins visible, mais qui pourrait rapidement s’imposer à
l’agenda : la question de la convergence réglementaire. Les négociateurs du
Tafta/TTIP entendent en effet créer un Conseil de coopération réglementaire,
chargé de faire vivre l’accord après sa signature en poursuivant l’effort
d’harmonisation des réglementations de part et d’autre de l’Atlantique.
Pour ses détracteurs, il s’agit d’un cheval de Troie qui permettra à
quelques technocrates de détruire les réglementations européennes et
américaines derrière des portes closes, une fois que le traité sera signé et
que l’opinion publique regardera ailleurs. Tous les sujets sensibles, comme le
poulet au chlore et les OGM, pourraient ainsi être évacués du corps du traité
transatlantique pour revenir quelques années plus tard par cette porte dérobée.
Des négociations trop secrètes pour être honnêtes
Le manque de transparence du processus et le caractère asymétrique des
informations sont dénoncés par de nombreux acteurs comme une atteinte à la
démocratie.
En effet, les citoyens n'ont aucun accès ni aux documents
préparatoires, ni aux comptes rendus des négociations ; même les parlementaires
n'en connaissent pas le détail. Onze pays de l'UE s'opposent à la diffusion du
mandat, qui a toutefois fait l'objet de fuites40. Pour répondre à cette
critique, la Commission européenne a fourni quelques éléments d'informations
sur les négociations en cours, sur son site. Le Commissaire européen au
Commerce, Karel De Gucht, conteste cette idée d'un secret entourant les
négociations.
En octobre 2015, le président du Parlement allemand, Norbert Lammert
menace de dire non au traité transatlantique, à la suite du refus de
l'ambassade américaine de Berlin de laisser une délégation de parlementaires
allemands consulter les documents des négociations. Il déclare qu'« il est hors
de question que le Bundestag ratifie un contrat commercial entre l’Union
européenne et les États-Unis, pour lequel il n’aura pu accompagner ou
influencer les options ».
L'opacité des négociations fait craindre une harmonisation vers le bas
des normes sociales, sanitaires et environnementales existantes, ainsi que des
règlements affectant le commerce. Les textes en discussion contiennent des
mesures visant à l'harmonisation des réglementations affectant le commerce. Les
négociations pourraient affecter notamment les règles relatives à
l'alimentation, la santé publique, la vie privée et à certaines conventions
collectives dans les secteurs susceptibles d'être ouverts à la concurrence.
De fait, de nombreux secteurs seraient touchés par cet accord et les
normes et réglementations remises en cause comprendraient (liste non
exhaustive) les normes sanitaires pour l'alimentation et la sécurité, la
protection de l'environnement, le contrôle de l'impact carbone, la protection
des données numériques personnelles, la réglementation de la finance et l'accès
des entreprises étrangères aux marchés publics.
Le fondateur de Foodwatch a estimé que le traité transatlantique, du
fait qu'il supprimera des obstacles pour les grandes entreprises, portera
inévitablement atteinte au droit de la consommation, en plus d'encourager
certaines pratiques abusives.
L'adoption de normes plus restrictives par la suite, pour répondre aux
préoccupations de la société civile ou à de nouveaux enjeux, pourrait être
freinée par l'existence d'un accord si l'une des parties s'oppose à cette
modification.
Des tentatives de suppression des réglementations en matière de santé
publique sont confirmées par les discours des associations patronales. Ainsi
l'Association nationale des confiseurs américaine explique que « L’industrie
américaine voudrait que le TTIP avance sur cette question en supprimant la
labellisation OGM et les normes de traçabilité » et le National Pork Producers
Council (Conseil national des producteurs de porc) affirme que « les
producteurs de porc américains n’accepteront pas d’autre résultat que la levée
de l’interdiction européenne de la ractopamine », alors que cet additif
bêta-agoniste est interdit dans 160 pays dont ceux de l'Union européenne, la
Russie et la Chine.
Le principe d'extraterritorialité, selon lequel un État peut imposer
l'application de ses propres lois sur un pays étranger, fait l'objet
d'oppositions, au moins en France, en raison des risques d'application à sens
unique, sachant « que les entreprises américaines échappent le plus souvent à
la loi européenne, y compris la loi fiscale ».
En plaçant les traités internationaux au-dessus des législations nationales,
le commerce international se livre à une vaste opération de destruction de la
souveraineté juridique des États, qui permet déjà aux grandes entreprises
d’attaquer ces derniers. C’est ainsi que la société américaine Lone Pine
Resources réclame 250 millions de dollars d’indemnité au gouvernement canadien,
dont le moratoire sur la fracturation hydraulique pour l’exploitation des gaz
de schiste contreviendrait à la liberté d’entreprendre garantie par l’ALENA
(accord de libre-échange entre la Canada, les États-Unis et le Mexique). Les
exemples de ce genre abondent, comme celui de cette société suédoise qui
demande près de 4 milliards d’euros à l’Allemagne pour avoir décidé de sortir
du nucléaire. Les litiges de ce genre se règlent devant des tribunaux arbitraux
indépendants des justices nationales, et le mandat de la Commission européenne
vise à établir un mécanisme arbitral "investisseur-État" qui se
substituerait aux juridictions démocratiques.
3. Le TAFTA en Bref :
SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : Nos normes plus strictes que les normes
américaines et que les « normes internationales » (niveaux de pesticides,
contamination bactérienne, additifs toxiques, OGM, hormones, etc.), pourraient
être condamnées comme « barrières commerciales illégales ».
GAZ DE SCHISTE : Les gouvernements européens ne réglementeraient plus
les exportations de gaz naturel vers les nations TAFTA. La fracturation
hydraulique pourrait devenir un droit pour les sociétés qui pourraient exiger
des dommages et intérêts auprès des
nations qui s’y opposent.
EMPLOI : Les entreprises souhaitant délocaliser dans les états
concernés par le projet TAFTA où les salaires sont inférieurs, seraient
protégées. L’Inspection et le code du travail devenant illégaux, plus de
préavis de licenciement. Pôle emploi devrait être privatisé ou serait attaqué
en justice par les sociétés d’intérim pour concurrence déloyale. Les
conséquences du TAFTA sur le taux de chômage en Europe ne seraient que
néfastes.
SANTÉ & RETRAITES : Les médicaments pourraient être brevetés plus
longtemps, les groupes pharmas pourraient bloquer la distribution des
génériques. Les services d’urgence pourraient être privatisés. Les Assurances
privées pourraient attaquer en justice les CPAM pour concurrence déloyale. Les
retraites par répartition pourraient être démantelées, les compagnies
d’assurances se substitueraient aux CRAM,ARRCO, AGIRC…
EAU & ÉNERGIE : Ces biens seraient privatisables. Toute
municipalité s’y opposant pourrait être accusée d’entrave à la liberté de commerce,
idem pour l’énergie, qu’elle soit fossile, nucléaire ou renouvelable. La
sécurité nucléaire serait réduite. Le prix du gaz et du kW seraient libres.
LIBERTÉ & VIE PRIVÉE : Grâce à la révolte publique, les sociétés
espérant enfermer et monopoliser l’Internet ont échoué l’année dernière à faire
adopter leur ACTA répressif ; des textes plus pernicieux sont dans le TAFTA.
SERVICES PUBLICS : Le TAFTA limiterait le pouvoir des États à
réglementer les services publics tels que : services à la personne, transports
routiers, ferroviaires, etc. et réduiraient les principes d’accès universel et
large à ces besoins essentiels.
CULTURE & PRODUCTION ARTISTIQUE : Les gros producteurs
d’audiovisuel pourraient interdire les productions privées ou professionnelles
à faible budget comme youtube, vimeo, dailymotion, les financements
collaboratifs seraient rendus illégaux. Les musées nationaux perdraient leur
droit de préemption sur les trésors artistiques nationaux au profit de
collectionneurs privés.
ENSEIGNEMENT : Les universités privées pourraient attaquer en justice
l’Éducation nationale pour concurrence déloyale. De la maternelle au doctorat,
les sociétés privées contesteraient aux écoles, cantines scolaires et resto U,
toutes subventions municipales, régionales ou nationales.
4. Le TAFTA en vidéos
« Diversion » : le film qui vous plonge en 2026, après 10 ans de TAFTA…(vidéo)
>>> En savoir plus :
Les effets secondaires du TAFTA nous rendent déjà malades (FNE)
L’Accord de Libre-Echange Transatlantique (TAFTA ) : Un projet anti-démocratique, climaticide et aux retombées économiques limitées (Fondation Nicolas Hulot)
Le site du collectif anti-TAFTA.
Le dossier de Corporate Europe Observatory (PDF), traduit en français.
Le dossier très complet de Solidaires douanes (PDF).
"TTIP : la fuite en avant libérale", par Françoise Castex, députée européenne (Nouvelle Donne) et Susan George, présidente d’honneur d’Attac, cofondatrice de Nouvelle Donne.
"Faut-il avoir peur du grand méchant marché transatlantique ?" (Rue89).
"Le traité transatlantique décodé" (lemonde.fr).
"Projet de libre échange USA-UE, la menace !", par Bernard Marx.